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Fonctionnaires: création d’entreprise et statut de la fonction publique

Fonctionnaires: création d’entreprise et statut de la fonction publique.

A – Principe d’interdiction

En principe, il est fait interdiction au fonctionnaire d’exercer une activité privée lucrative. En effet, la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires, pose un principe d’interdiction d’exercice d’une activité privée lucrative (article 25 I alinéa 1) :

« Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit ».

Parmi les activités privées interdites figurent notamment (article 25 I alinéa 2 1°) :

« La participation aux organes de direction de sociétés ou d’associations ne satisfaisant pas aux conditions fixées au b du 1° du 7 de l’article 261 du code général des impôts ».

La violation de cette interdiction donne lieu au reversement des sommes indûment perçues, par voie de retenue sur le traitement (article 25 V de la loi précitée).

B – Dérogations sur autorisation

Néanmoins, la loi prévoit la possibilité de dérogations en cas d’autorisation (article 25 I alinéa 3) :

« Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public peuvent toutefois être autorisés à exercer, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, à titre accessoire, une activité, lucrative ou non, auprès d’une personne ou d’un organisme public ou privé, dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui leur sont confiées et n’affecte pas leur exercice ».

Le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007, modifié par le décret n° 2011-82 du 20 janvier 2011, vise notamment, dans son article 2, l’expertise, la consultation et la formation, et définit en ces termes la procédure d’autorisation dans son article 4 alinéas 1 et 2 :

« Le cumul d’une activité exercée à titre accessoire mentionnée aux articles 2 et 3 avec une activité exercée à titre principal est subordonné à la délivrance d’une autorisation par l’autorité dont relève l’agent intéressé.

Toutefois et sous réserve des interdictions d’exercice d’activités privées prévues aux 1°, 2° et 3° du I de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, l’exercice d’une activité bénévole au profit de personnes publiques ou privées sans but lucratif est libre ».

La procédure d’autorisation est prévue par les articles 5 et 6 du décret précité. Préalablement à l’exercice d’une activité soumise à autorisation, l’intéressé doit adresser à l’autorité dont il relève, qui lui en accuse réception, une demande écrite qui comprend certaines informations sur l’activité projetée.

L’autorité compétente doit notifier sa décision dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande et, en l’absence de décision expresse contraire dans ce délai, l’intéressé est réputé autorisé à exercer l’activité accessoire. Ce délai peut être porté à deux mois en cas de demande d’informations complémentaires par ladite autorité.

Par ailleurs, concernant les créateurs ou repreneurs d’entreprises, l’article 25 II 1° prévoit une dérogation d’une durée maximale de 3 ans :

« II.-L’interdiction d’exercer à titre professionnel une activité privée lucrative et le 1° du I ne sont pas applicables :

1° Au fonctionnaire ou agent non titulaire de droit public qui, après déclaration à l’autorité dont il relève pour l’exercice de ses fonctions, crée ou reprend une entreprise. Cette dérogation est ouverte pendant une durée maximale de deux ans à compter de cette création ou reprise et peut être prolongée pour une durée maximale d’un an. La déclaration de l’intéressé est au préalable soumise à l’examen de la commission prévue à l’article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ».

Le décret du 2 mai 2007 précise les règles applicables dans ce cas, notamment en son article 11, modifié par le décret du 20 janvier 2011 :

« L’agent qui, en application de la dérogation prévue au 1° du II de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée et en dehors des activités mentionnées au II de l’article 2 du présent décret, se propose de créer ou de reprendre une entreprise industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole, présente une déclaration écrite à l’autorité dont il relève, deux mois au moins avant la date de création ou de reprise de cette entreprise.

Cette déclaration mentionne la forme et l’objet social de l’entreprise, son secteur et sa branche d’activités ainsi que, le cas échéant, la nature et le montant des subventions publiques dont cette entreprise bénéficie.

L’autorité compétente saisit la commission de déontologie prévue à l’article 87 de la loi du 29 janvier 1993 susvisée de cette déclaration, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle elle l’a reçue.

La commission de déontologie rend son avis dans un délai d’un mois à compter de l’enregistrement du dossier de saisine par son secrétariat.

Toutefois, la commission peut proroger une fois ce délai pour une durée d’un mois.

L’absence d’avis de la commission à l’expiration des délais susmentionnés vaut avis favorable.

Les dispositions du présent article s’appliquent sans préjudice des dispositions des articles L. 413-1 et suivants du code de la recherche.

L’avis de la commission est transmis à l’autorité compétente, qui en informe l’intéressé ».

Pour autant, au-delà des dérogations prévues i) par l’article 25 I alinéa 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée et les articles 4, 5 et 6 du décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 et ii) par l’article 25 II 1° de ladite loi et les articles 11 et suivants dudit décret, il existe par exception au principe même d’interdiction d’exercice d’une activité privée lucrative, des activités privées s’exerçant librement.

C – Existence d’activités privées s’exerçant librement

L’article 25 III alinéas 2 et 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée mentionne deux types d’activités privées s’exerçant librement :

« La production des œuvres de l’esprit au sens des articles L. 112-1, L. 112-2 et L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle s’exerce librement, dans le respect des dispositions relatives au droit d’auteur des agents publics et sous réserve des dispositions de l’article 26 de la présente loi.

Les membres du personnel enseignant, technique ou scientifique des établissements d’enseignement et les personnes pratiquant des activités à caractère artistique peuvent exercer les professions libérales qui découlent de la nature de leurs fonctions ».

La lecture combinée de cette dernière disposition, à valeur législative, et de l’article 11 précité du décret (à valeur réglementaire, donc de valeur normative inférieure à l’article 25 III alinéa 3 de la loi de 1983, et ne pouvant y déroger), dans sa version modifiée par le décret du 20 janvier 2011, qui étend désormais la procédure dérogatoire soumise à autorisation préalable à une création ou reprise d’entreprise libérale, permet de penser que :

• l’article 11, prévoyant une autorisation préalable, concerne toute activité libérale qui n’entrerait pas dans le champ de l’article 25 III alinéa 3 de la loi de 1983,

• à savoir une activité qui ne répondrait pas aux conditions cumulatives i) d’être exercée par un membre du personnel enseignant, technique ou scientifique des établissements d’enseignement ou une personne pratiquant des activités à caractère artistique et ii) de découler de la nature des fonctions de ce membre ou de cette personne.

En revanche, la lecture combinée de l’article 25 III alinéa 3 de la loi de 1983 et de l’article 25 I alinéa 2 1° de la même loi, précité, lequel interdit la participation aux organes de direction de sociétés ou d’associations ne satisfaisant pas aux conditions fixées au b du 1° du 7 de l’article 261 du Code général des impôts (œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée), laisse subsister un doute, s’agissant de dispositions de même valeur et compte tenu de ce que le II du même article, relatif à la dérogation applicable à la création ou reprise d’entreprise, fait de son côté explicitement référence à la disposition en cause.

Néanmoins, il ne paraît pas, a priori, que l’article 25 III alinéa 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, précité, invite à une distinction entre « profession libérale » et « activité libérale », ni prescrive ou proscrive une forme d’exercice de l’activité libérale découlant de la nature des fonctions du membre du personnel enseignant ou scientifique d’établissement d’enseignement.


Participation aux organes de gestion d’une société

Le Mémento Francis Lefebvre Sociétés civiles juge, à propos de la liberté du fonctionnaire de gérer son patrimoine (article 25 III alinéa 1er de la loi du 13/07/1983), qu’elle permet à un fonctionnaire d’être associé d’une société mais non d’en être dirigeant :

“Il est interdit à tout fonctionnaire de participer aux organes de gestion d’une société civile (Loi 83-634 du 13-7-1983 art. 25, I-1°), même si la société a pour objet la gestion d’un patrimoine privé. Certes, la loi permet aux fonctionnaires de gérer « librement leur patrimoine personnel ou familial » (Loi du 13-7-1983 art. 25, III), mais à notre avis, cette règle ne les autorise qu’à apporter tout ou partie de leurs biens à une société et non à gérer celle-ci” (Mémento Sociétés civiles 2013, n° 7080, EFL).

Cette position devrait logiquement être étendue aux autres cas de figure de l’article 25 III de la loi de 1983, notamment à celui de l’article 25 III alinéa 3 (liberté des enseignants, notamment, d’exercer les professions libérales qui découlent de la nature de leurs fonctions).

Nous ne partageons pas cette position exprimée par le Mémento Francis Lefebvre, qui nous semble distinguer là où la loi ne distingue pas.  Il nous paraît possible, mais certes risqué, de se prévaloir de l’article 25 III pour participer aux organes de gestion d’une société, si par ailleurs toutes les conditions posées par ce texte sont bien respectées.

Toutefois, il est certain qu’il existe un risque juridique important pouvant avoir de lourdes conséquences financières (reversement des sommes indûment perçues, par voie de retenue sur le traitement) et que la décision de se prévaloir de l’article 25 III de la loi de 1983 pour participer aux organes de gestion d’une société doit être prise en parfaite connaissance de cause.

Par sécurité, il est donc conseillé de suivre les procédures de l’article 25 I dernier alinéa ou de l’article 25 II.


Article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983

I.-Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit.

Sont interdites, y compris si elles sont à but non lucratif, les activités privées suivantes :

1° La participation aux organes de direction de sociétés ou d’associations ne satisfaisant pas aux conditions fixées au b du 1° du 7 de l’article 261 du code général des impôts ;

2° Le fait de donner des consultations, de procéder à des expertises et de plaider en justice dans les litiges intéressant toute personne publique, le cas échéant devant une juridiction étrangère ou internationale, sauf si cette prestation s’exerce au profit d’une personne publique ;

3° La prise, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l’administration à laquelle ils appartiennent ou en relation avec cette dernière, d’intérêts de nature à compromettre leur indépendance.

Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public peuvent toutefois être autorisés à exercer, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, à titre accessoire, une activité, lucrative ou non, auprès d’une personne ou d’un organisme public ou privé, dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui leur sont confiées et n’affecte pas leur exercice.

II.-L’interdiction d’exercer à titre professionnel une activité privée lucrative et le 1° du I ne sont pas applicables :

1° Au fonctionnaire ou agent non titulaire de droit public qui, après déclaration à l’autorité dont il relève pour l’exercice de ses fonctions, crée ou reprend une entreprise. Cette dérogation est ouverte pendant une durée maximale de deux ans à compter de cette création ou reprise et peut être prolongée pour une durée maximale d’un an. La déclaration de l’intéressé est au préalable soumise à l’examen de la commission prévue à l’article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ;

2° Au dirigeant d’une société ou d’une association ne satisfaisant pas aux conditions fixées au b du 1° du 7 de l’article 261 du code général des impôts, lauréat d’un concours ou recruté en qualité d’agent non titulaire de droit public, qui, après déclaration à l’autorité dont il relève pour l’exercice de ses fonctions, continue à exercer son activité privée. Cette dérogation est ouverte pendant une durée maximale d’un an à compter du recrutement de l’intéressé et peut être prolongée pour une durée maximale d’un an. Sa déclaration est au préalable soumise à l’examen de la commission prévue à l’article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 précitée.

III.-Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public peuvent librement détenir des parts sociales et percevoir les bénéfices qui s’y attachent. Ils gèrent librement leur patrimoine personnel ou familial.

La production des oeuvres de l’esprit au sens des articles L. 112-1, L. 112-2 et L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle s’exerce librement, dans le respect des dispositions relatives au droit d’auteur des agents publics et sous réserve des dispositions de l’article 26 de la présente loi.

Les membres du personnel enseignant, technique ou scientifique des établissements d’enseignement et les personnes pratiquant des activités à caractère artistique peuvent exercer les professions libérales qui découlent de la nature de leurs fonctions.

IV.-Les fonctionnaires, les agents non titulaires de droit public, ainsi que les agents dont le contrat est soumis aux dispositions du code du travail en application des articles 34 et 35 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, occupant un emploi à temps non complet ou exerçant des fonctions impliquant un service à temps incomplet pour lesquels la durée du travail est inférieure ou égale à 70 % de la durée légale ou réglementaire du travail des agents publics à temps complet peuvent exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative dans les limites et conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.

V.-Sans préjudice de l’application de l’article 432-12 du code pénal, la violation du présent article donne lieu au reversement des sommes indûment perçues, par voie de retenue sur le traitement.

Par Franck BEAUDOIN, Avocat

Avocat, président et fondateur de la société d’avocats FB JURIS, directeur de la publication des sites juridiques droit.co et idroit.co.

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